Nous sommes en mai 1938. Deux mois auparavant, l’annexion de l’Autriche
par Hitler n’a malheureusement pas fait couler beaucoup d’encre,
et pour cause, toute la Lorraine est bien plus préoccupée par
le fantastique parcours des Grenats en Coupe de France. En effet, pour la
21ème édition de la Coupe et la première fois de sa récente
histoire, le Football Club de Metz parvient à se hisser en finale du
tournoi. Cerise sur le gâteau, l’adversaire désigné
pour ce match historique, programmé le 8 mai 1938 au Parc des Princes,
est le déjà grand Olympique de Marseille, quatre fois lauréat
par le passé. C’est dire si la rencontre de ce dimanche de printemps
attire les foules et délie les langues ; voici bien une occasion unique
pour le club phare de l’est de la France de briller dans l’antre
du football national et d’inscrire en lettres d’or une première
et historique ligne à son palmarès !
Certes, le favori unanimement désigné par le monde sportif ainsi
que par les journalistes n’est pas le club grenat, à l’époque
« Cendrillon » du football français et dont les joueurs
voyagent modestement en troisième classe. Mais les « prolétaires
» messins y croient, d’autant qu’ils ont bataillé
dur et réalisé quelques exploits pour atteindre le stade ultime
de la prestigieuse compétition. Successivement Reims (5-0) en 1/16ème
de finale, Roubaix (2-1) en 1/8ème, Cannes (3-0) en ¼ et Fives
(1-0 après prolongations) en demi-finale ont en effet subi les ardeurs
messines, sans pouvoir empêcher la fière équipe lorraine
d’accéder à son rêve : une grande finale, enfin,
et au bout du chemin, la gloire, peut-être.
Le match en bref
Score : 1-2 (a. p.)
Stade : Parc des Princes
Arbitre : M. Munsch
Spectateurs : environ 44530
Les équipes :
Metz : Charles Kappé, Henri Nock, Charles Zehren, Nicolas Hibst, Charles
Fosset, Marcel Marchal, Jean Lauer, Kowalczyk Ignace, Marcel Muller, Karl Hes,
Albert Rohrbacher.
Olympique de Marseille : De Vasconcelos, Abdel Ben Bouali, Henri Conchy, Jean
Bastien, Ferdinand Bruhin, Joseph Gonzales, Emile Zermani, Franz Olej, Mario
Zatelli, Emmanuel Aznar, Willy Kohut.
Buts :
pour Marseille : Kohut (49ème), Aznar (118ème).
pour Metz : Rohrbacher (84ème).
Le film du match
« Une grande finale gâchée par l’arbitre, mais
des plus émouvantes et des plus équilibrées »
: la une du quotidien national « Ce soir », datée du 9 mai
1938, résume parfaitement un match qui allait longtemps rester source
de frustration dans les cœurs messins.
En ce dimanche après-midi ensoleillé de printemps, l’affluence
au Parc des Princes et la recette engrangée constituent le premier record
de la soirée puisque plus 44 530 spectateurs se sont donnés rendez-vous,
parmi lesquels près de 5000 Lorrains (en compagnie du plus prestigieux,
le Président de la République Albert Lebrun). Pour affronter l’armada
marseillaise emmenée par Kohut et Aznar, les Messins peuvent compter
sur les bons conseils de leur entraîneur, l’Anglais Ted Maghner,
considéré à l'époque comme l’un des meilleurs
du monde. Malgré tout, ce sont les Marseillais qui sont le plus en vue
lors de la première période. Athlétiques, bien en jambes,
ceux qu’on appelait alors les « demis » distillent d’excellents
ballons à leur quintette offensif (il n’était pas rare,
à l’époque, de voir évoluer cinq attaquants au sein
d’une équipe), et récupèrent parfaitement ceux relancés
par leur défense. Quant aux Messins, ils ne manquent pas de courage mais
leurs attaques sont moins appuyées. Cela n’étonne personne,
« le Lorrain » étant alors perçu par les journalistes
comme « un homme prudent, qui assure sa défense avant de se lancer
à l’attaque » !
Le tournant du match se produit certainement à la fin de la première
mi-temps, quand l’arbitre M. Munsch siffle un penalty en faveur des grenats,
prend même le ballon de ses mains pour le déposer sur le point
de penalty, le tout suite à une main flagrante du défenseur olympien
Ben Bouali dans la surface de réparation. Déjà les Messins
commencent à croire en leur bonne étoile, lorsque, stupeur, l’homme
en noir revient brutalement sur sa décision, influencé par les
protestations marseillaises. Il n’y aura pas de penalty. Première
déception, première frustration.
Mais Metz n’est pas au bout de sa peine. Le retour des vestiaires s’avère
même catastrophique, puisque dès la 49ème minute et au terme
d’une superbe action marseillaise, lancée par une transversale
de Gonzales rabattue par Zatelli, l’international Hongrois Kohut ouvre
le score pour Marseille, d’un tir croisé de 20 mètres. Malgré
cela, les valeureux Messins ne désespèrent pas et ne comptent
pas leurs efforts pour tenter de revenir à la marque. Et comme s’il
était écrit que ce match réserverait toutes les émotions
d’une vraie finale de coupe, quelques minutes avant la fin c’est
sur un tir de Rohrbacher que le FC Metz parvient à égaliser, arrachant
ainsi les prolongations. Tout redevient possible. Il s’en faut même
de peu que le match ne tourne alors en faveur du onze grenat littéralement
déchaîné. Mais il était également écrit
que rien ne serait épargné aux Lorrains. Ainsi, seulement deux
minutes avant le terme des prolongations, l’avant-centre olympien Aznar,
en embuscade au premier poteau, reprend de la tête un centre venu de la
gauche et mal dégagé par Kappé. Charles Fosset, héroïque
défenseur messin, repousse le tir sur la ligne de but. Soulagement…
de courte durée puisque l’arbitre, toujours lui, accorde le but
à l’Olympique de Marseille. Rien ne pourra plus empêcher
la défaite des Grenats et blancs, dont le courage et l’ardeur n’auront
rien pu contre l’incompétence arbitrale. L’histoire d’un
club, parfois, ne tient qu’à un coup de sifflet.
Les enjeux
Une victoire en ce 8 mai 1938 aurait permis au club d’inaugurer un palmarès
encore peu fourni et de le faire entrer dans le cercle très fermé
des grands du football. Qui sait, cela aurait pu le lancer sur de bons rails.
Au lieu de cela, il faudra attendre 46 ans avant de pouvoir enfin conquérir
ce trophée qui ouvrira heureusement la voie à d’autres titres.
L’anecdote
L’accumulation des décisions litigieuses prises par le trio arbitral
a eu tôt fait, en ce dimanche, de pousser l’énorme majorité
des 44 000 spectateurs à prendre fait et cause pour la malheureuse équipe
messine. Après le but accordé à Aznar, c’en est trop
pour le public de la tribune Tour de France qui, en signe de protestation, fait
pleuvoir sur la pelouse un torrent de… petits coussins rouges. En effet,
certains gradins n’étaient alors pas recouverts de sièges
et des coussins étaient loués aux spectateurs. C’est ainsi
qu’au terme du match, le terrain fut envahi par ces coussins. Une manifestation
de mécontentement assurément moins dangereuse que certaines aujourd’hui…